La Nef des Fous, le carnet de bord de Jean-Pierre Humbert
La nef des fous ... Le carnet de bord de mes aventures et de mes rencontres picturales … Avec moi, larguez les amarres et voyagez au long cours en position assise … Naviguons gaiement, ensemble vers l’inéluctable naufrage...
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ALEKSANDR KOLOKOL’CEV, autoportrait
SUPPLIQUE par JPH
Cher Aleksandr Kolokol’cev,
Quand j’ai vu tes premières gravures, je n’étais qu’un enfant. À cette époque, tu ne brillais ni par ton caractère équilibré, ni par le suivi de ton inspiration. En effet, tu changeais constamment de thématique et de signature. Un jour tu paraphais tes travaux Albrecht Dürer, le lendemain c’était Jacques Callot, Honoré Daumier, Gustave Doré, Francisco Goya ou Rodolphe Bresdin. Je cite quelques pseudonymes en vrac et j’en oublie cent.
Un jour, tu illustrais la vie d’un saint, le lendemain c’était celle d’un roi. Les scènes de guerre, celles de la Bible, de la mythologie, tous les sujets y sont passés. Plus fort encore, tu te permettais de changer de style, tu passais de l’humour le plus féroce au tragique le plus comique. Moi, j’adorais ça.
J’ai vécu avec tes personnages, figé dans un mouvement perpétuel. Je me suis glissé dans tes paysages avec le secret espoir qu’en habitant dans tes dessins, j’avais une chance d’immortaliser les intenses sensations que la vie m’offrait. Je n’en suis d’ailleurs heureusement pas encore revenu. Avec un solide fond de whisky, je bois encore goulûment l’eau de cette fontaine de jouvence qu’est pour moi ta gravure.
L’autre jour, une mauvaise rumeur est arrivée jusqu’en Suisse. Tu serais, paraît-il, mort. Sur le coup j’ai été très triste. J’ai fait le tour des chambres de mon appartement, convaincu de trouver dans les estampes qui le tapissent, les preuves que cette nouvelle n’était qu’un mensonge du plus mauvais goût.
Maintenant, que je suis un grand garçon, je sais bien que lorsque tu signais tes œuvres d’un des pseudonymes cités plus haut, tu employais des nègres pour les réaliser. Je sais que seules les feuilles signées Alexandre Kolokol’cev sont de toi à cent pour cent et celles-là, je les apprécie tout particulièrement.
Je n’aime rien plus que les paradoxes et tu me gâtes avec tes eaux-fortes. Tout ce que tu construis est parfait, le plus infime détail est soigné. Dans cette volonté de te surpasser, je sens un être qui aime la vie et qui désire la sublimer. Heureusement tu ne travailles pas à nous construire un avenir radieux. Les immeubles, les monuments que tu as érigé avec un savoir-faire inégalé s’écroulent. Ils ne contribueront jamais à résoudre les problèmes de logement, sauf peut-être pour quelques oiseaux égarés. Les animaux que tu dessines sont constitués comme nous pour vivre sans fin mais nous devinons bien qu’ils ne survivront pas aux dangers auxquels tu les soumets. Le mieux serait-il l’ennemi du bien et perdrions-nous le paradis en le cherchant ?
Cependant, en moi, l’enfant ne dort que d’un œil. Il suffit que mon regard s’arrête sur une de tes gravures pour que je retrouve cet agréable parfum d’éternité qu’elles distillent. Rien à cirer de la chronologie, du prestige d’une signature, ne compte plus que l’émotion laissée par une image sur un être qui sait que les explications rationnelles ne servent qu’à nous tromper, qu’à nous faire accepter l’idée de la mort.
Tu penses bien, cher Alexandre Kolokol’cev, qu’il ne m’en fallait pas plus pour décréter que tu vis encore et, n’en déplaise aux angoissés de la nécrologie et du curriculum vitae, je me réjouis d’accrocher ta prochaine gravure au mur qui se trouve au fond de ma cuisine. C’est là que j’expose les œuvres auxquelles je suis le plus attaché. Si comme je le soupçonne tu recours de nouveau à ta manie du pseudonyme, fais-moi plaisir : tu la signes Jean-Pierre Humbert.
LE RÊVE – Gravure (eau-forte) – Alexander Kolokol’cev – Russie
ON PODYACHESKAYA STREET – Eau-forte d’Aleksandr Kolokol’cev – 117×117 mm
AFTER THE PEOPLE – Eau-forte d’Aleksandr Kolokol’cev – 120×120 mm
La couverture du livre édité en 1995 en hommage à Aleksandr Kolokol’cev.
Une publication Contraste Éditeur réalisée à l’initiative de Jacques Barberis
Mise en page par Mirko Humbert
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