Nef des fous

La Nef des Fous, le carnet de bord de Jean-Pierre Humbert

La nef des fous ... Le carnet de bord de mes aventures et de mes rencontres picturales … Avec moi, larguez les amarres et voyagez au long cours en position assise … Naviguons gaiement, ensemble vers l’inéluctable naufrage...

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Carnet de bord de Jean-Pierre Humbert

Planche Supérieure, 21 juin 1957


Photo Mülhauser – Fribourg – Fond BCU – Texte de JPH

Au 4e siècle avant J-C, le philosophe grec Aristote découvre que la lumière entrant dans une pièce sombre par un petit trou projette sur le mur d’en face l’image inversée des objets placés devant l’orifice: «la camera obscura». En 1826, Nicéphore Niepce réussit la première expérience de fixation permanente d’une image de la nature. En 1990, le premier appareil numérique sans film voit le jour. Aujourd’hui, selon votre tempérament, vous pouvez facilement tout photographier et filmer avec votre téléphone portable et diffuser instantanément vos images dans le monde entier, à un ou plusieurs correspondants.

Il est impossible de comptabiliser le nombre d’images produites  depuis 1826 par ce moyen révolutionnaire. Une chose est sûre. Bien qu’encore très jeune, la photographie est une catin qui a beaucoup vécu, de la chambre à coucher au champ de bataille. Émouvante, banale, belle ou sordide, il n’est pas une seule situation que son objectif n’ait captée mille fois. Restituées par la presse et les éditeurs, les représentations «réalistes» qu’elle donne semblent dessiner avec précision les contours pourtant incertains de la vérité. Agrémentées d’un commentaire orienté, nous découvrons aujourd’hui  que nous pouvons leur faire dire tout ce que nous voulons. Avec l’arrivée du numérique et des programmes de traitement d’images, la photographie devient polyglotte. Le même instantané est capable d’interpréter sans limite la gamme polychrome de la vérité.

Machine à capter le présent, l’appareil à photographier ne nous rend que du passé. Une trace, des traces lumineuses et généralement indolores qui répondent au doux nom de souvenirs. Pour le vernaculaire, les divers fonds photographiques de la BCU sont des sources abondantes de bonheur. Les expositions des instantanés de Jacques Thévoz et des Mülhauser père et fils ont attiré de nombreux fribourgeois, venus assister émus à la résurrection éphémère du passé dont ils sont constitués.

À mes yeux la beauté d’un cliché ne joue qu’un rôle mineur dans son impact. Méprisé par les esprits supérieurs, l’aspect anecdotique d’une représentation touche le spectateur de manière très intime et occupe une place importante dans son cœur. Lors de ma visite de l’exposition consacrée au Fribourg des Mülhauser, quand je me suis arrêté à la photographie «Planche Supérieure, 21 juin 1957» ici reproduite, ma première pensée a été : «Tiens, elle n’est pas terrible celle-là», puis : «13840, mais c’est le numéro des plaques de papa !» Mon père est mort en 1965 à l’âge de 43 ans. Troublé, j’ai occulté les enfants qui sont le sujet central de cette photo. Cinquante ans après, je regarde quotidiennement mon père, accroché à un mur de mon atelier, qui passe immobile par la Planche Supérieure dans cette voiture que j’avais l’obligation d’astiquer tous les samedis matin. Je détestais cette corvée, mais j’aime m’en souvenir. Privés du soutien de la photographie, comment nos ancêtres alimentaient-ils leurs besoins de nostalgie? Avec de la mémoire vive sans doute.

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